Fin de l’aventure

Post écrit sur les réseaux sociaux le lendemain de mon arrivée :

De retour chez moi, après avoir pris une bonne douche (!), noté toutes les améliorations que je compte apporter à mon matériel, pris connaissance de vos messages, j’avais envie de vous parler, à chacun de vous.

J’ai été très touché des messages que vous m’avez envoyé. En choisissant de partager cette aventure, je n’imaginais pas qu’elle ait pu susciter votre enthousiasme et vos réactions si positives. Car après tout, ce ne sont que des vacances !

On conçoit souvent, à raison, les réseaux sociaux comme un outil superficiel, ne permettant pas de partager l’essentiel. Je pense que l’on peut aussi échanger des choses importantes. Vous m’avez offert ces choses importantes chaque jour par votre affection et vos pensées.

En économisant l’énergie que le soleil m’apportait, je n’ai pas toujours pu vous répondre. Mais j’ai lu et ô combien apprécié chacun de vos signes.

Aussi, je tiens à vous remercier sincèrement, chacun.

Ce retour à la « source » qui m’a fait cheminer jusqu’à l’océan, j’ai souhaité le partager sans jamais rien vouloir montrer ou démontrer d’autre que le plaisir que l’on peut trouver à s’alléger, en revenir à la simplicité, se rapprocher de la nature, passer quelques épreuves, jamais bien difficiles, pour en revenir à soi. J’ai joué le jeu d’en dire un peu plus sur moi, parce que si plus personne n’ose se montrer, plus personne n’existe. Et l’endroit n’est pas la propriété privée des rois du selfie et du « je râle donc je suis ». Quand on aime ce que l’on fait, quel intérêt y a t’il à le garder uniquement pour soi? J’espère simplement ne pas avoir trop utilisé de « moi je » et avoir su transmettre ce que j’espérais donner.

Il ne s’agit ni d’un défi, ni d’une performance. Si j’ai ramé fort parfois, c’est par simple volonté de me dépasser. Mais que l’on ne s’y trompe pas, la Loire enseigne qu’ici, toute compétition est inutile. On ne peut battre personne. C’est la hauteur d’eau, le vent favorable ou non, la chance aussi, qui décident de votre vitesse, pas vous. Ce qui me semble compter, c’est le sentiment de s’être dépassé, d’avoir repoussé certaines limites.

Le Fleuve m’a également enseigné que parfois, la route la plus courte n’est pas la meilleure. Il faut apprendre à analyser le plan d’eau, comprendre la formation des bancs de sables, observer les virages et le flux, avant de s’engager pleinement. Couper, foncer, forcer, conduit souvent à l’épuisement et au mauvais chemin. Ainsi, au fil des méandres, j’ai progressé en jouant avec le courant, et mieux compris son écoulement, mais il me reste encore beaucoup à apprendre.

L’effort est ici symbole de récompense, à l’image d’un début parsemé de blocs de granits, de troncs immergés, de gravières qui vous stoppent net et vous font redoubler d’effort. Mais comme les ciels gris laissent toujours place au soleil, les passages infranchissables deviennent petit à petit un fleuve puissant, qui vous récompense en vous offrant une glisse au paradis.

Ce paradis que certains croient possible uniquement après la mort. Or n’est il pas plutôt ici, pendant la vie…? Une vie qui ne compte que 30 000 journées, pour les plus chanceux d’entre nous. Durant ces 18 jours, j’ai eu le sentiment de vivre une vie remplie, intense, libre. Une vie comme j’aime, une vie de Lion, ou peut être davantage de Castor dans ce cas précis.

En glissant sur l’eau, j’ai aussi compris que rien ne sert de regarder derrière soi, car les traces s’effacent, et les ondulations de notre passage ne durent pas bien longtemps. Rien ne sert non plus de vouloir connaitre les méandres qui pourront arriver dans 100 kilomètres. Seul compte l’ici et le maintenant, l’obstacle juste devant qu’il faut anticiper, la zone de courant où l’on peut accélérer, le bivouac qu’il est temps de trouver. Vivre le présent, ne garder de derrière que les souvenirs essentiels, ne penser à plus tard que pour avancer.

Avancer dans une nature miraculeuse, fragile, intensément belle. La société de consommation nous a éloigné de cette nature qui pourtant nous nourri, nous fait respirer, boire, vivre… nos besoins énergétiques sont devenus tels que nous avons installé des bombes géantes en pleine nature, défiguré des paysages, chassé une faune et une flore pourtant si essentielles. A ce titre, le passage de la première centrale nucléaire a été un déchirement. En apercevant les ravages causées par la précédente crue, je n’ai cessé de me dire que la nature reprend toujours ses droits, et que nous ne parviendrons jamais à endiguer un fleuve en colère, empêcher une secousse sismique qui engendre une fuite dévastatrice. A ce titre, et à celui d’une production énergétique plus respectueuse de l’environnement, les énergies alternatives me sont apparues comme des urgences absolues à mettre en place. Une sensibilité qu’il m’était plus difficile d’avoir dans ma zone de confort, calé derrière mon Macbook, avec toutes les lumières de mon appartement allumées.

La Loire compte finalement 4 centrales nucléaires le long des 1000 kilomètres de sa rive. Autant de bombes, autant de zones polluées, autant d’endroits où la faune et la flore qui y prospéraient y sont éliminées. Mais l’Homme ne crée pas que du laid, ou du dangereux. Les villages ligériens s’harmonisent en beauté avec le fleuve, et la symbiose entre la pierre blanche, les barques de chalands et les couleurs du fleuve, sont un ravissement. Ici ou là, on apprécie le café sur une terrasse qui surplombe le fleuve, une librairie ancienne, une place où les anciens profitent de l’ombre. La Loire accueille aussi les plus beaux châteaux de France, et la traversée de Blois, Chaumont, Amboise, a été un enchantement.

La Pierre et la Nature ne sont pas les seules découvertes que l’on fait en Loire. Ce fleuve, qui semble occuper une place centrale en Europe, est le point de rencontre de quantités de nos voisins, qui viennent y faire leur propre balade, à pied, à vélo, en van, ou sur l’eau. Comme chez tous les voyageurs (j’entends pas là les gens qui ont un « esprit de voyageur », et il n’est pas forcément nécessaire d’avoir parcouru le monde), on retrouve cette curiosité, ce goût des autres et parfois même, une bienveillance qui donne au voyage une dimension humaine exceptionnelle. Les cafés offerts, les soins apportés, les repas partagés, l’ont tous été sans attente de retour, par simple envie de partager, de se rencontrer, entre voisins. Ainsi la Loire ne s’attarde pas sur les sottises médiatiques, la bassesse politique, ou des échanges économiques sans humanité. Dans ce voyage, elle m’a offert des rencontres généreuses, fraternelles, riches de coeur et d’esprit. Le seul et vrai patrimoine qui ait une valeur aux yeux de tous ces gens.

Si les nouvelles rencontres ont été nombreuses, j’ai aussi bénéficié de l’aide ou de l’amitié de nombre d’entre vous. Les uns pour soigner la planche, m’envoyer l’aileron de « survie », les autres pour soigner le bonhomme, d’autres pour offrir un repas chaud, m’inciter à découvrir un village qui m’aurait échappé, me prodiguer des conseils avisés ou de simples messages d’attention qui complètent le petit déjeuner vitaminé.

Sur ma route, souvent, après m’avoir demandé ce que je faisais lorsque je tombais (comme dans la vie, Monsieur, je me relève, pas vous?!), certains restaient dubitatifs de me savoir seul. Seul moi? Bien sur, j’ai passé des journées entières sans croiser âme qui vive, mais si j’appréciais autant me retrouver seul en pleine nature, c’est uniquement parce que je savais qu’ensuite, je retrouverai du monde. Et si j’apprécie autant partir seul, c’est parce que cela me semble plus simple pour rencontrer, échanger. En revenir à soi et mieux aller vers les autres. Preuve en est de cette fausse solitude, j’ai achevé mon parcours avec deux compagnons de rame avec qui l’aventure s’est terminée dans la joie partagée !

Concernant la sécurité, je ne peux pas dire, aujourd’hui, que j’ai trouvé la Loire « dangereuse ». Mon expérience de navigation estivale, en pleine période d’étiage, n’est pas suffisante pour se faire une opinion. Mais j’ai la sensation que partout où le fleuve n’est pas obstrué, l’eau s’écoule sans tourbillons, les bancs de sable se forment à l’intérieur des méandres, et le risque n’est présent que pour celui qui n’observe pas.

En revanche, la Loire reste potentiellement dangereuse partout où il y a des constructions humaines. Ainsi les ponts, les digues de retenue, comportent leurs lots de blocs, de pieux, ou détournent le flux d’eau naturel qui ainsi contrarié, peut créer des mouvement d’eau où il ne faut pas trainer. La encore, rien n’est comparable entre la navigation ces dernières semaines, et une navigation après les crues de mai, où le danger aurait été réel.

Voilà.

Je crois avoir terminé mon bilan et c’est mon dernier message « Fleuve » ! Quand je me relis, je me dis aussi que c’est une sacrée épreuve pour le lecteur, bien plus que d’aller ramer au milieu des forêts alluviales sur des eaux transparentes !

Je vous laisse avec la carte complète du parcours, et un mini film qui donne un rapide aperçu de l’ambiance au début de l’aventure.

https://www.youtube.com/watch?v=4BEfEupc3K4

Avec toute mon amitié.

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L’arrivée
Carte descente Loire
Le parcours avec les étapes
CArte Loire KM
Le parcours avec la distance cumulée

Une réflexion sur “Fin de l’aventure

  1. Bravo pour cette merveilleuse aventure
    Plus de 800 kilomètres parcourus avec un paddle, une simple paggaie, et tellement d’envie et de plaisir.
    Des paysages somptueux, l’harmonie avec la nature, le découverte du fleuve et son rivage si varié mais aussi des rencontres, du partage. Et puis tes photos et tes récits passionnants chaque soir
    Nous avons vibré à te suivre chaque jour. Vivement le prochain départ…

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